J’ai rencontré pour la première fois Patrick Le Bescont, directeur des éditions Filigranes, à l’occasion du Paris Photo de l’année 2010.
« Rencontrer » c’est beaucoup dire. Je m’étais approchée de lui, baragouinant quelques mots timides, avant de partir à reculons. Si je me remémore cet épisode, c’est parce que le hasard m’a donné l’opportunité de le rencontrer de nouveau, et même, de l’interviewer.
Monsieur Le Bescont, se trouvait en effet dans les locaux d’Act’Image le 07 novembre dernier, à l’occasion de l’exposition « Once Upon A Time », dont il publie l’ouvrage associé.
Patrick Le Bescont est un autodidacte et un passionné. Il aime le bois, les costumes bleu marine à en juger par celui qu’il portait le jour de notre rencontre, les mécanismes qu’il faut décortiquer, les vieilles techniques photographiques, la Bretagne où il a grandi et les artistes qu’il publie.
Au coup de cœur.
Monsieur Le Bescont marche au coup de cœur.
C’est sûrement pour ça qu’à ses débuts il a eu du mal à choisir entre la photographie et l’ébénisterie.
Dès l’âge de 17 ans, il devient bénévole à l’Imagerie, une petite association des Côtes d’Armor qui organise son propre festival consacré à la photographie. « Je ne comprenais rien » me dira-t-il dans un large sourire. Mais auprès de photographes comme J.Dieuzaide, W.Ronis, L.Hervé et bien d’autres, il a appris.
Et puis en multipliant aussi les stages dans des petites écoles, comme Image Ouverte à Clarensac, ou bien celle de Jean-Pierre Sudre dans le Lubéron, Patrick Le Bescont a pu acquérir et développer de multiples compétences.
Au cours de ses premières années en tant que photographe, et non sans avoir toujours un pied, pour ne pas dire une main, dans le métier du bois, Patrick Le Bescont a multiplié ses activités professionnelles en ouvrant également un atelier de tirages en Bretagne, en créant les éditions Filigranes en 1988 et en publiant ses premiers ouvrages.
Ses autoéditions lui ont alors ouvert les portes d’un univers peuplé d’échanges et de rencontres, à l’opposé du monde solitaire qu’habitait le photographe.
L’année 1994 marque un tournant dans sa carrière. Concomitamment avec la publication d’un ouvrage réunissant les travaux de 17 auteurs photographes, missionnés par le ministère de l’Agriculture pour une commande photographique sur les paysages et les hommes d’Europe, Patrick Le Bescont choisit de ne plus se consacrer qu’à l’une de ses multiples activités : l’édition.
Pour ce travailleur acharné, ce qui compte dans l’aventure qu’est la production d’un ouvrage, c’est le façonnage d’un objet unique qui sera au service du travail d’un auteur et l’accompagnement de celui-ci, qu’il soit ou non connu du public.
A l’éclectisme des choix de publications, doit donc répondre la singularité de l’ouvrage confectionné. « Il y avait du bois avec mes premiers livres », me confiera l’éditeur. C’est vous dire s’il aime les belles choses et si l’objet doit faire sens pour celui qui le tient entre ses mains.
Patrick Le Bescont veille particulièrement à ce que la réflexion ayant conduit au livre, ait été initiée et élaborée par le photographe lui-même, de façon à donner une intention éditoriale forte et unique à chacune de ses parutions. Cela sans oublier bien sûr, les impératifs de vente inhérents à toute activité économique que l’on souhaite développer et pérenniser.
Le directeur de Filigranes a donc demandé à Myriam Tirler et Olivia Creed de bien réfléchir à l’objet qui allait recueillir leur histoire, celle d’un road trip au féminin, au pays de l’oncle Sam.
Les photographes lui ont tout d’abord soumis une maquette, qui, après quelques petits changements, notamment concernant le format, a donné lieu à un ouvrage original, à la couverture tissée, sans image, arborant un long titre en anglais « Once Upon A Time, wicked sisters story fragments on the road before the very last day ».
Quand je demande à Patrick Le Bescont comment il en est arrivé à décider de publier leur projet, sa réponse sonne comme une évidence : « C’est Jean-Yves Jouannais (-critique d’art et écrivain-) que je connaissais et qui les connaissait qui a suscité mon intérêt en me parlant du travail qu’elles avaient réalisé ; Un road trip vous comprenez, c’est plutôt masculin ». Voilà le coup de cœur, le projet de publication était engagé.
Patrick Le Bescont a fait des rencontres, de l’humain, le moteur même de sa maison d’édition. Déterminé, il a su créer un catalogue au contenu exigent et de qualité. Une démarche qui lui a valu d’être récompensé à deux reprises par l’attribution du prix Nadar. En 2003 avec « Le Pavillon Blanc » de Bernard Guillot, puis en 2014, avec « Les Enfantillages Pittoresques » de Laurent Millet. Une belle surprise pour un gros volume, « une monographie plutôt sophistiquée ».
A ce jour, les éditions Filigranes ont un catalogue contenant 540 titres.
Un succès grandissant malgré la fragilité du système économique sur lequel il repose, s’expliquant notamment par l’augmentation de la concurrence et le coût croissant de la production d’un ouvrage.
Pour autant la qualité des livres est sans cesse en amélioration, de quoi nourrir les audaces et l’imagination de Patrick Le Bescont, « et puis le livre reste l’objet préféré des photographes » se réjouit-il.
Voilà un homme heureux, un aventurier, un façonneur, un véritable artisan, qui à force de travail, de patience, d’écoute, d’exigence et de choix judicieux, a pu faire de l’aventure initiale, un singulier modèle de réussite dans le monde de l’édition.
Par Laurence Escorneboueu